Par Simon Horn

Les défis de l’application de la Convention de La Haye sur les accords d’élection de for par les juridictions nationales

Justice-Paragraphe-Balance

Simon Horn est Rechtsreferendar (Juriste stagiaire) au Oberlandesgericht (Tribunal régional supérieur) de Hambourg et assistant de recherche à l’Institut Max Planck de droit comparé et de droit international privé.

Le présent article est issu d’une intervention lors d’un séminaire organisé par l’IRZ en coopération avec le Ministère de la justice tunisien le 28 octobre 2021. Cet article reflète l’avis strictement personnel de l’auteur et n’engage en aucun cas le Ministère fédéral de la justice.


 La Convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for prévoit un cadre pour la détermination de la compétence ainsi que la reconnais-sance et exécution des jugements dans les litiges impliquant un accord exclusif d’élection de for. Le présent article vise à présenter les grands axes de la Convention et à identifier les principaux défis que peuvent rencontrer les juridictions nationales dans son application. 

I. Introduction

La Convention est la première parmi plusieurs conventions de la Conférence de La Haye de droit international privé (ci-après : la Conférence) concernant la compétence judiciaire et la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. La Conférence avait initialement prévu de régler le sujet dans une convention unique à la fin des années 1990, mais le processus s’est arrêté en 2001 quand il s’est avéré qu’un accord des États membres sur la base de ce projet était hors de portée.

La Conférence décida alors de répartir la matière prévue en plusieurs conventions distinctes mais aux champs d’applications cohé-rentes. Ainsi, la Convention a vocation à former un ensemble global et cohérent avec la Con-vention du 2 juillet 2019 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en ma-tière civile ou commerciale et une Convention sur la compétence judiciaire qui est actuelle-ment en cours de négociation.

II. Le champ d’application de la Convention

C’est par ce cadre historique que s’explique le champ d’application assez restreint de la Con-vention. L’application des accords d’élection de for constituait le premier terrain d’entente des États membres après l’échec du projet d’une convention unique en 2001.

1. Le champ d’application matériel

Ratione materiae, la Convention s’applique en principe sur les litiges en matière civile et commerciale impliquant un accord exclusif d’élection de for. Néanmoins, certaines sous-matières qui, en principe, rentrent dans la matière civile et commerciale y sont exclues en raison de leurs caractéristiques spécifiques. Ces matières sont énumérées dans l’article 2 de la Convention et comprennent notamment les contrats conclus par des consommateurs, les contrats de travail, les contrats de transport, les dommages corporels et moraux et les droits réels immobiliers et baux d’immeubles.

2. Le champ d’application temporel

Ratione temporis, le champ d’application de la Convention est doublement limité. Elle ne s’applique qu’aux litiges engagés après son entrée en vigueur pour l’État de la juridiction saisie et aux accords d’élection de for conclus après son entrée en vigueur pour l’État de la juridic-tion élue. Cette double conditionnalité a pour conséquence que les litiges régis par la Conven-tion affluent au fur et à mesure après l’entrée en vigueur et non d’un seul coup.

3. Le champ d’application territorial

La Convention ne s’applique qu’aux accords d’élection de for qui désignent les juridictions d’un État
partie. Les litiges impliquant un accord d’élection de for désignant les juridictions d’un Étattiers ne sont pas régis par la Convention mais par le droit national du conflit des juridictions.

III. L’appréciation de la compétence à la lumière de l’accord d’élection de for

La Convention vise à donner effet aux accords d’élection de for. À ces fins, la Convention attribue en principe la compétence exclusive à l’État de la juridiction élue.

1. La validité de l’accord d’élection de for

Cette attribution exclusive de la compétence à l’État de la juridiction élue ne s’opère que si l’existence d’un accord d’élection de for valide est avérée. L’examen de la validité de l’accord d’élection de for est donc d’une importance primordiale car seul un accord valide déclenche le régime de compétence attribuant la compétence exclusive à la juridiction élue.

Puisque la Convention ne s’applique qu’aux situations internationales, cela soulève évidem-ment la question de la loi applicable à la validité de l’accord d’élection de for. Celle-ci est régie par trois lois différentes aux domaines distincts : la Convention elle-même, la loi de la juridic-tion élue et la loi de la juridiction saisie.

a) Le domaine de la Convention elle-même

La Convention régit elle-même la validité de l’accord d’élection de for dans la mesure qu’elle contient des règles matérielles uniformes. L’article 3 litera c) de la Convention prévoit ainsi au sujet de la validité formelle que l’accord doit être conclu ou documenté par écrit ou par tout autre support permanent (par exemple par e-mail). L’article 3 literas a) et b) de la Convention consacrent ensuite une présomption en faveur du caractère exclusif d’un accord d’élection de for. Ces règles matérielles uniformes évincent tout droit national.1

b) Le domaine de la loi de la juridiction élue

En dehors du domaine des règles matérielles uniformes s’applique en principe la loi de la juri-diction élue. Ainsi, les articles 5 alinéa premier, 6 litera a) et 9 litera a) de la Convention pré-voient que la question si l’accord est nul est régie par la loi de la juridiction élue. Les exemples les plus classiques de nullité d’un accord sont sans doute l’existence de vices du consentement et l’illicéité. L’examen de la capacité des parties constitue également une question de nullité au sens de la Convention.2 Même l’existence d’un consentement est régie par la loi de la juridiction élue,3 nonobstant qu’il ne s’agisse strictement d’une sanction de nullité. C

La référence au droit de la juridiction élue comprend les règles de conflit de lois.4 Pour apprécier la validité matérielle de l’accord d’élection de for, toute juridiction doit alors d’abord (1.) rechercher la juridiction élue pour ensuite (2.) appliquer les règles de conflit de lois de celle-ci afin de connaitre les règles matérielles régissant la validité matérielle de l’accord d’élection de for, puis (3.) appliquer les règles matérielles des différentes lois applicables afin de trancher sur la validité de l’accord d’élection de for.

c) Le domaine de la juridiction saisie

La capacité des parties de conclure l’accord d’élection de for (c’est-à-dire de manière alterna-tive, puisque cette question est aussi régie par la loi de la juridiction élue, cf. supra) est éga-lement régie par le droit de la juridiction saisie. La référence au droit de la juridiction saisie comprend toujours les règles de conflit de lois.5

Le procédé d’appréciation de la capacité varie ainsi selon la juridiction. Si la juridiction élue tranche sur la validité de l’accord d’élection de for (article 5 alinéa 1 de la Convention), les règles de conflit de lois de la juridiction élue et de la juridiction saisie sont identiques. La juridic-tion apprécie alors la capacité uniquement au regard de la loi applicable en vertu de sa propre règle de conflit de lois.

Si une juridiction non élue tranche sur la validité de l’accord d’élection de for (soit au stade du litige, cf. article 6 de la Convention, soit de manière incidente au stade de la reconnaissance et de l’exécution, cf. article 9 de la Convention) elle doit apprécier la capacité à la fois au regard de la loi applicable en vertu de la règle de conflit de lois de la juri-diction élue et de la loi applicable en vertu de sa propre règle de conflit de lois.6

d) Résumé

La question de la validité de l’accord d’élection de for peut alors être résumée ainsi :

Simon Horn

2. Les obligations d’une juridiction face à un accord d’élection de for

Pour donner effet à un accord d’élection de for valide, il est nécessaire que la juridiction élue assume sa compétence et que toutes les autres juridictions (non élues) s’abstiennent de statuer au fond du litige. La Convention prévoit ainsi des obligations pour les deux types de juridictions à cet effet.

a) Les obligations de la juridiction élue

Saisie d’un litige dans lequel un accord d’élection de for lui est soumis, la juridiction élue doit d’abord vérifier la validité de l’accord selon les différentes règles de droit exposées ci-avant (article 5 alinéa premier de la Convention). Si elle conclut que l’accord est valide, elle doit assumer sa compétence internationale. L’article 5 alinéa 2 précise que la juridiction élue ne peut se dessaisir de l’affaire de manière discrétionnaire. Si elle conclut que l’accord est nul, elle est autorisée à décliner sa compétence internationale.

La Convention ne fait pas obstacle à l’application des règles de compétence interne. La juri-diction élue peut alors se déclarer incompétente au motif qu’une autre juridiction du même pays serait compétente en vertu des règles de compétence interne (article 5 alinéa 3 de la Convention). Ces règles de compétence interne peuvent concerner la compétence territo-riale, la compétence en raison de la matière ou en raison de la valeur du litige.

Si la juridiction élue dispose d’une discrétion dans la décision de renvoyer l’affaire devant une autre juridiction interne (par exemple en vertu de la doctrine de forum non conveniens), elle doit toutefois dû-ment prendre en considération le choix des parties exprimé dans l’accord d’élection de for (article 5 alinéa 3 phrase 2 de la Convention).

b) Les devoirs d’une juridiction non élue

Saisie d’un litige dans lequel un accord d’élection de for lui est soumis, une juridiction non élue doit également vérifier la validité de l’accord selon les différentes règles de droit exposées ci-avant (article 6 literas a) et b) de la Convention).
Si elle considère l’accord valide, elle est en principe obligée de se dessaisir ou de surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction élue se prononce sur sa compétence.

Si au contraire la juridiction élue se décline sa compétence internationale (par exemple lorsqu’elle considère que l’accord d’élection de for est nul), la juridiction saisie n’est évidemment pas tenue de se dessaisir (article 6 litera e) de la Convention).7 Sans que cela soit mentionné expressément dans les textes, il ne suffit pas que la juridiction élue décline sa compétence sur la base de la compétence interne ou renvoie l’affaire devant une autre juridiction puisque la Convention n’affecte pas l’ordre juridictionnel interne.8

Dans ce contexte, le défi pour les juridictions sai-sies réside dans la détermination parfois difficile, si la juridiction élue s’est déclarée incompé-tente au regard de la Convention ou au regard des règles de compétence interne. De manière exceptionnelle, la juridiction non élue peut toutefois se déclarer compétente malgré un accord d’élection de for valide, s’il serait manifestement injuste ou contraire à l’ordre public de lui donner effet.
Si la juridiction saisie considère l’accord nul (y compris dans les cas où la juridiction élue es-time l’accord valide) elle est autorisée à statuer au fond.

IV. La circulation transfrontalière des décisions de la juridiction élue

La Convention oblige les États contractants à reconnaître et exécuter les décisions de la juri-diction élue sans pouvoir procéder à une révision au fond.

1. Les décisions éligibles à la circulation transfrontalière

Les décisions éligibles à circuler sous la Convention sont définies par deux catégories de conditions. Au plan formel, seules les décisions judiciaires (jugements, arrêts, ordonnances) et les transactions judiciaires (si elles sont exécutoires dans le pays d’origine, cf. article 12 de la Convention) sont éligibles à circuler sous la Convention. Elles doivent provenir de l’État de la juridiction élue mais non pas forcément de la juridiction élue elle-même, puisque la Convention ne fait pas obstacle à l’application des règles de compétence interne (cf. supra et article 8 alinéa 5 de la Convention).

Au plan matériel, les décisions doivent statuer au fond de manière directe ou indirecte (par exemple par le biais des frais et dépenses9). Les décisions d’ordre pu-rement procédural ainsi que les décisions concernant des mesures provisoires et conservatoires (par exemple les jugements en référé) ne sont pas éligibles à circuler sous la Convention. Tant qu’une décision n’est pas définitive ou est encore susceptible de faire l’objet d’un recours, elle n’a pas vocation à être reconnue et exécutée (article 8 alinéa 4 de la Convention).

2. Le régime de la circulation transfrontalière

L’article 8 de la Convention consacre le principe de reconnaissance et d'exécution. L’État requis doit alors mettre en œuvre les décisions éligibles dans la mesure qu’elles produisent des effets dans l’État d’origine. Selon l’article 8 alinéa 2 de la Convention, elles ne doivent faire l’objet d’aucune révision au fond en dehors des chefs de refus prévus par la Convention. Les seuls motifs autorisés pour justifier un refus de donner effet à une décision éligible sont énumérés à l’article 9 de la Convention.

Même dans l’application de ces motifs expressément autorisés, la juridiction requise aux fins de reconnaissance et d’exécution est en principe liée par les constatations de fait de la juridiction d’origine, sauf si celle-ci a statué par jugement de défaut.

La juridiction requise peut d’abord refuser la reconnaissance et l'exécution d’un jugement si l’accord d’élection de for s’avère être nul selon les différentes règles de droit exposés ci-avant, à moins que la juridiction d’origine n’ait constaté sa validité (article 9 litera a) de la Convention). La Convention confère ainsi une sorte d’autorité de la chose jugée à la décision de la juridiction élue pour l’aspect de la validité de l’accord d’élection de for pour éviter des décisions contradictoires.10

Cette validation de l’accord d’élection de for par la juridiction d’origine peut même s’opérer de manière implicite ; le défi pour la juridiction requise réside alors dans la détermination, si la juridiction d’origine s’est prononcée de manière implicite sur la validité de l’accord d’élection de for.11 La seule hypothèse de nullité qui n’est pas percluse par une décision de la juridiction d’origine validant l’accord d’élection de for est celle de la nullité pour motif d’incapacité selon le droit de la juridiction requise (article 9 litera b) de la Convention), question sur laquelle la juridiction d’origine ne peut se prononcer.

Au niveau de la procédure, le défaut de notification du défendeur constitue un vice de procé-dure justifiant un refus de reconnaissance et d’exécution. Les règles diffèrent selon si la notification a eu lieu dans l’état requis ou ailleurs. Si la notification a eu lieu dans l’état requis, elle doit respecter les principes fondamentaux de cet état relatifs à la notification, la règle renvoie donc en partie au droit national de l’état requis (article 9 litera c) i) de la Convention).

Si la notification a eu lieu ailleurs, les conditions minimales de notification sont définies par la Conven-tion elle-même à l’article 9 litera c) ii) de la Convention selon lequel la notification doit intervenir de telle manière que le défendeur puisse organiser sa défense. Cette défense est néan-moins percluse si le défendeur a comparu devant la juridiction d’origine et y a présenté sa défense sans soulever l’exception d’incompétence.

Si la décision dont la reconnaissance ou l’exécution est requise est incompatible avec une décision dans l’État requis entre les mêmes parties ou une décision antérieure dans un État tiers entre les mêmes parties et ayant le même objet, la juridiction requise peut également refuser de lui donner effet dans un souci de cohérence des décisions.

Les décisions internes de l’État requis entre les mêmes parties priment ainsi toujours sur les décisions éligibles à cir-culer sous la Convention. Entre les décisions éligibles à circuler sous la Convention et les dé-cisions des États tiers c’est le principe de priorité qui s’applique.
Les autres motifs autorisés sont des exceptions classiques que l’on trouve dans la plupart des conventions de droit international privé et par conséquent non caractéristiques à la Conven-tion telle que l’exception d’ordre public (article 9 litera e) de la Convention).

V. Conclusion

La Convention marque un premier pas vers l’émergence d’un ordre juridictionnel international en matière civile et commerciale. Dans les relations d’affaires et les échanges commerciaux elle favorise l’autonomie des parties en conférant en principe la compétence exclusive à la juridiction élue. Son attractivité devrait encore augmenter quand les autres conventions (projetées) issues du projet de 2001 (la Convention du 2 juillet 2019 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile ou commerciale et la Convention sur la compétence judiciaire actuellement en cours de négociation) entreront en vigueur et offriront ainsi un cadre juridique global et cohérent concernant la compétence et la reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale.

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1. Rapport explicatif de T. Hartley et M. Dogauchi, Actes et documents de la Vingtième session 14 au 30 juin 2005, T. III (Élection de for), 2010, Intersentia, p. 861, n° 126.
2. Rapport explicatif de T. Hartley et M. Dogauchi, préc., n° 126.
3. Rapport explicatif de T. Hartley et M. Dogauchi, préc., n° 93.
4. Rapport explicatif de T. Hartley et M. Dogauchi, préc., n° 125.
5. Rapport explicatif de T. Hartley et M. Dogauchi, préc., n° 150.
6. V. en ce sens notamment Rapport explicatif de T. Hartley et M. Dogauchi, préc., n° 149.
7. Si la juridiction saisie était obligée de se dessaisir malgré le refus de la juridiction élue de connaître du litige, le justiciable encourrait le risque sérieux d’un déni de justice, v. Rapport explicatif de T. Har-tley et M. Dogauchi, préc., n° 155.
8. R. A. Brand et P. M. Herrup, The 2005 Hague Convention on Choice of Court Agreements, 2008, Cambridge University Press, p. 95.
9. Rapport explicatif de T. Hartley et M. Dogauchi, préc., n° 116.
10. Rapport explicatif de T. Hartley et M. Dogauchi, préc., n° 183.
11. R. A. Brand et P. M. Herrup, The 2005 Hague Convention on Choice of Court Agreements, préc., p. 111.